Ca va bouger ?

mardi 22 mars 2011, par gp

Drôle de rentrée dans l’éducation, par Luc Cédelle LE MONDE | 02.09.08 | 13h12 • Mis à jour le 02.09.08 | 13h12

L’an dernier, au moment de sa première rentrée de ministre de l’éducation, Xavier Darcos appelait la nation à "faire pack autour de ses enseignants". Aujourd’hui, beaucoup d’enseignants voudraient faire pack contre le ministre et tentent de s’organiser à cette fin. En théorie, tout est prêt pour que se déclenche, dès le premier trimestre scolaire, une épreuve de force entre les syndicats d’enseignants et le gouvernement. En réalité, on assiste à une drôle de rentrée, où chacun se surveille en espérant que le camp d’en face n’est pas aussi fort qu’il pourrait l’être.

Les motifs de mécontentement se sont accumulés, au premier rang desquels figurent les suppressions de postes par non-renouvellement de départs en retraite : 11 200 en cette rentrée, mais déjà 13 500 programmés pour 2009 et l’assurance que le processus se poursuivra ultérieurement. Ce que Jack Lang, l’ancien ministre (2000-2002) parti en campagne contre l’actuel, appelle un "plan pluriannuel de destruction". Chaque étape est présentée par le gouvernement comme un titre de gloire et par les syndicats comme une "saignée" supplémentaire. Le président de la République et le ministre de l’éducation ont beau réaffirmer leur entière considération envers les enseignants, le message que portent les réductions de postes peut être difficilement perçu comme valorisant envers la profession dans son ensemble.

D’autres motifs de malaise s’ajoutent à cette question-clé. L’opposition de la quasi-totalité des organisations représentatives des enseignants du primaire à la réforme entreprise avec la suppression du samedi, et la mise en place de nouveaux programmes en est un. Le souci du pouvoir d’achat en est un autre, même si M. Darcos se prévaut du succès grandissant - un échec selon les syndicats - des heures supplémentaires et vient d’annoncer qu’une prime de 1 500 euros sera versée dès novembre aux débutants prenant leur premier poste. L’avenir de la formation initiale des enseignants, alors que se profile la suppression des instituts universitaires de formation des maîtres (IUFM), nourrit aussi l’inquiétude.

Plus généralement, malgré toutes les dénégations de M. Darcos à ce sujet, la crainte s’affirme d’une "dérive libérale" vers un marché de l’éducation, où chaque établissement serait en concurrence avec les autres et où chaque professeur devrait faire preuve de son efficience au regard de critères standardisés. Dans un milieu resté majoritairement à gauche et où une frange est sensible aux thèses d’extrême gauche, la tentation d’un rejet radical vient attiser les humeurs combatives. Ainsi, les propos du président de la République, en décembre 2007, sur l’instituteur qui "ne pourra jamais remplacer le pasteur ou le curé" dans "la transmission des valeurs" n’ont jamais été oubliés et ont nourri un courant convaincu que la laïcité fait l’objet d’une attaque en règle.

Bien que minoritaires, des initiatives extra-syndicales comme, en juin, la "nuit des écoles", ont montré que les interprétations les plus noires des mesures de M. Darcos - parlant par exemple d’"école des robots" à propos des nouveaux programmes - pouvaient susciter des mouvements tenaces. Enfin, le calendrier annoncé par le ministre pour sa réforme des lycées, qui devrait s’appliquer en septembre 2009 alors que les discussions commencent à peine, est jugé "intenable" par la totalité des syndicats. Sur le fond, ce projet, qui suscite l’intérêt de certains (SE-UNSA et SGEN-CFDT), inquiète les autres et pourrait coaliser un front d’opposants. "Le moratoire ne fait pas partie de mon vocabulaire", a répondu M. Darcos, le 28 août, lors de sa conférence de presse de rentrée.

De leur côté, les syndicats ont multiplié les avertissements. Le SE-UNSA a estimé que la rentrée s’annonçait "sous de sombres augures" et que les suppressions de postes allaient faire "une grosse rature" dans les établissements. Le SNUipp-FSU, principal syndicat du primaire, fait état d’"inquiétudes fortes". Le SNES-FSU, majoritaire dans le secondaire, réclame un "plan de revalorisation globale du métier d’enseignant". Même le Snalc-CSEN, classé à droite - mais se déclarant apolitique -, désespère d’un ministre dont il se sentait pourtant le plus proche et parle d’une situation "mortifère".

FOSSÉ ENTRE LES GÉNÉRATIONS

Une large intersyndicale (sans le Snalc) réunie le 26 août a appelé à une journée nationale d’action le 11 septembre "sous des formes diversifiées" et avec "des possibilités de grèves locales". Les mêmes syndicats, avec la Fédération des conseils de parents d’élèves (FCPE), les organisations lycéennes FIDL et UNL, et l’UNEF, ont retenu le principe d’une manifestation nationale en octobre ou novembre. Le SNES s’est dit favorable à des "rendez-vous hebdomadaires" d’action pour "faire monter peu à peu la pression".

Tout est donc prêt, en apparence, pour faire chauffer la marmite où se mijotent les meilleures grèves. En apparence seulement, car en fait personne - ni l’équipe ministérielle, ni les leaders syndicaux, ni les enseignants de la base - ne sait ce qui va se passer. La FSU n’est pas le fauve prêt à bondir qu’elle voudrait paraître en pareille situation. Et d’autres syndicalistes admettent, comme Thierry Cadart (SGEN-CFDT), qu’il y a "des raisons objectives pour que ça râle", mais qu’il existe aussi "une vraie difficulté de mobilisation". "Le discours gouvernemental assurant que l’éducation coûte cher et marche chez nous moins bien qu’ailleurs passe de plus en plus dans l’opinion", déplore-t-il. Les enseignants sont nombreux à juger qu’une grève d’une journée "ne sert à rien" sans pour autant s’engager plus avant. Figure de l’engagement pédagogique, Gilbert Longhi, proviseur à Sainte-Geneviève-des-Bois (Essonne), donne aussi une explication en termes de générations. "C’est la déconfiture des quinquas, dit-il. Le fossé qui les sépare des trentenaires est immense. Les jeunes n’ont pas envie de se battre, et les vieux ont arrêté."

Les syndicats d’enseignants représentent-ils encore une force capable de se faire entendre ? Ont-ils encore une place dans l’école "nouvelle génération" (les termes ne sont pas innocents) annoncée par Xavier Darcos ? A plusieurs reprises, le ministre et son entourage ont suggéré qu’une distinction pouvait être faite entre les enseignants et leurs syndicats... Les élections professionnelles prévues début décembre dans l’éducation nationale apporteront un début de réponse. A moins que d’ici là, la drôle de rentrée ne tourne court et que, selon une vieille formule léniniste, une étincelle imprévue ne mette le feu à toute la plaine. Cette interrogation-là pèse à égalité sur toutes les parties concernées.

Courriel : cedelle@lemonde.fr.